A la claire fontaine

Publié le par maison-latger

 

 

J'avais dix minutes devant moi. Avant le passage de l'autobus.
A Bompas. Chez Virginie. Et l'autobus pour rentrer à Perpignan.
Je me suis aventuré dans le village. Ai retrouvé l'école communale.
L'école des filles, où se donnaient les cours élémentaires.
L'école des garçons, de l'autre côté de la rue, pour les cours moyens.
Il y avait eu, certes, quelques changements. Mais je reconnaissais tout des lieux.
La grille qui avait été conservée. Les escaliers de service. Le grillage des fenêtres.
J'ai collé mes mains comme des oeillères, contre la vitre, pour voir l'intérieur.
La classe de Mr Malé. Dont le carrelage était intact. Les néons au plafond.
Le bâtiment désaffecté, promis à des travaux de rénovation.
Plus loin, l'église. Où j'ai fait mes communions. Où Geneviève s'est mariée.
Où l'on avait posé cette boîte dans laquelle on avait enfermé le corps de maman.
Devant cette église, j'avais reconnu des gens venus nous soutenir. Il me semble.

La porte était ouverte. J'entre. Et je bascule dans un temps parallèle.
Première impression. Les proportions. Plus petites que dans mon souvenir.
Restaurée. Repeinte. Couleurs vives. Aux plafonds. Aux chapelles latérales.
Mon angoisse se dissipe d'abord, parce que je ne la reconnais pas vraiment.
Et mon coeur se serre soudain. Je reconnais la chaire de bois et son escalier.
Premier coup de poing. Un deuxième ensuite, quand je m'arrête sur les vitraux.
Au cours de quelques messes, j'avais tué le temps en les regardant sans les regarder.
Trompé mon ennui en imaginant ce Saint en chevalier, et des histoires de princes,
et des contes de fées, quand il fallait se recueillir ou réfléchir au sermon.
C'était comme retrouver des personnages de dessins animés. Familiers.
Des compagnons de mauvaise fortune auxquels on finit par s'attacher.
J'avance dans la nef, et, en effet, je reconnais le choeur, l'autel, les fresques.
Derrière la chaire, une chapelle où se dresse un magnifique retable baroque.
En bonne place, l'harmonium. Troisième coup de poing dans le ventre.
Cet harmonium où j'avais, à dix ans, joué en boucle A la claire fontaine,
au mariage de ma soeur, alors que les invités défilaient entre les bancs pour la féliciter.
Une version très personnelle, trouvée à l'oreille, d'une chanson traditionnelle, profane,
qui n'avait probablement pas sa place dans une église, et qui n'était sans doute pas
la plus appropriée pour célébrer un mariage.

Chante, Rossignol, chante, toi qui as le coeur gai.
Tu as le coeur à rire, moi, je l'ai à pleurer.
J'ai perdu mon amie sans l'avoir mérité.
Pour un bouton de rose que je lui refusai ...

Il y avait un homme du village, qui me paraissait très vieux, très gros,
et qui chantait très fort, qui était peut-être ténor, et que tout le monde s'arrachait
pour les mariages et les enterrements, habitué à chanter là, tous les dimanches.
L'Abbé l'avait certainement recommandé à Geneviève. Elle refusa.
Préférant voir - et entendre - son petit frère rabâcher laborieusement sa phrase enfantine.
Jean-François, bien sûr, avait assuré le reste de la cérémonie et sauvé l'honneur de la famille.
Mon frère savait jouer parfaitement. J'avais eu mon moment. Ma contribution à l'ouvrage.
Et je m'amuse encore du désespoir de Monsieur le Curé, comme des vieux de la paroisse.

Une dame est sortie de la sacristie avec un seau d'eau et un lave-pont.
Surprise, elle avait réprimé un sursaut d'effroi avant de me lancer un bonjour juste méfiant.
Je lui ai rendu un sourire tendre et ému qui ne lui était pas adressé.
J'allais lui épargner le discours du fils prodigue et mes souvenirs d'enfance,
et elle pourrait continuer tranquillement à faire les sols comme elle s'y était engagée.
Ce sourire, je ne l'adressais pas à la bonne du curé, ni à Dieu, ni à ses Saints,
mais aux personnes chères qui ont partagé ce lieu avec moi, et à moi-même.
J'avoue que je ne me rappelle pas de l'enterrement de Bon-Papa. En 1992.
Ni de celui de Marraine. En 2004. Lorsqu'ils sont enterrés non loin de là.
Au cimetière de Bompas. Les parents de mon père. Reposant loin de Terre-Cabade.
Loin de Toulouse où ils auraient pourtant été plus à leur place, ai-je toujours pensé.
Il avait bien fallu que les obsèques se tiennent ici. Pour l'un comme pour l'autre.
J'ai beau réfléchir, je ne me rappelle pas. Tout fut consciencieusement effacé.
D'ailleurs, pour maman, je ne me rappelle pas de grand-chose. Ce qui n'est pas rien.
Le souvenir d'avoir craqué en reconnaissant la maman de Laetitia dans l'assistance.
D'avoir retrouvé sur le parvis Anne et Vanessa. Virginie, bien sûr, qui a toujours été là.
La sensation d'être ballotté par une foule de bons sentiments qui veulent vous réconforter.
La voisine, en larmes, qui me rappelait combien ma mère m'avait désiré et attendu.
Des amis, plus pudiques, dont la distance était tout aussi envahissante.

Je regarde les visages connus dessinés sur les vitraux. A qui je peux sourire.
Et je repars, tournant le dos à l'autel, découvrant des orgues dont je n'avais pas le souvenir.
Je viens de jeter un oeil sur ma montre. Il n'est pas question de rater mon autobus.
Je veux rentrer chez moi. Revenir à ma vie. Celle d'aujourd'hui. Remonter à la surface.
Pourtant, en sortant de l'église, j'ai cette image encore de la maman de Laetitia. Emue.
Qui est restée sans voix. Qui n'avait rien à dire. Au milieu d'autres personnes.
Il fallait avancer. Nous devions marcher jusqu'au cimetière. Mais le parvis est vide.
Je découvre sur le côté, l'entrée discrète de la salle Jeanne d'Arc. Son petit escalier.
Sous le presbytère. La salle, en sous-sol, où nous venions suivre le catéchisme.
Qui était en somme une activité extra-scolaire au même titre que le tennis.
Je ne peux pas m'y attarder. Je dois marcher jusqu'à l'avenue où se trouve l'arrêt de bus.
Je m'avance jusqu'à la Mairie, et passe devant chez Ricart, le boulanger où j'achetais le pain.
Des frissons me parcourent. J'ai été enfant dans ces rues. Venant seul acheter deux baguettes.
Rejoignant Sarah ou Cédric à la salle Jeanne d'Arc. Comme Anne-Sophie Rose.
La mémoire me joue des tours. Quand je marche comme un étranger dans la ville.
Je me poste avenue du Haut Vernet. Près de la pharmacie de la famille Pech.
L'autobus arrive. Je monte dedans. Et je me sors de ce bourbier.

J'ai 22 ans. Je suis à l'Université. En Lettres Modernes. Suis parti vivre à Bordeaux.
Et me voici au cimetière de Bompas. Reconnaissant des gens. Ici ou là. Famille. Amis.
La scène est étrange. Je ne sais pas si elle a vraiment lieu au moment où elle se passe.
Il y a des visages que je ne connais pas. Certains pourtant, semblent me connaître.
" Tu étais petit, c'est pour ça... " Des gens du village. Des amis de Gene et Jean-François.
On a enfourné le cercueil dans le caveau. Une petite construction à un étage et quatre places.
Ici, on ne met pas en terre. On fait du ciment. Et un maçon commence à jouer de la truelle.
Au moment où il pose la dernière brique, venant définitivement murer le compartiment
où l'on vient de ranger ma mère, j'entends un cri affreux, suraigu, déchirant,
d'un animal ou d'un chien que l'on aurait blessé, qui ne semble pas humain,
quand je me rends compte que c'est moi qui viens de le pousser.
Je n'ai aucun souvenir de la fermeture du cercueil sur son visage de cire.
Si j'y ai assisté, ça m'a laissé de marbre. Mais je revois parfaitement l'ouverture dans le mur.
La pose de la brique. Et le tour de main du maçon. Etalant le mortier comme sur une tartine.
Un gars qui faisait son boulot. Proprement. Promptement. Qui emmurait maman.
Et je regarde les haies de cyprès le long de la route. Le corps vide. Les yeux vides.
Je reviens à Perpignan. J'ai 38 ans. Et le cri n'est toujours pas sorti de ma gorge.

La maison de Virginie est celle de ma petite enfance. Du bonheur solaire et insouciant.
C'est chez elle, désormais, et je ne pense à rien de tout cela en sa présence.
Je suis avec elle. Au moment où j'y suis. Et aucun souvenir ne vient interférer.
Mais dans ces dix minutes qui me séparaient du passage du bus, j'ai ouvert une boîte.
Une boîte à chaussures rangée au fond d'une penderie. Au grenier ou ailleurs.
Je ne suis pas triste. Je suis bouleversé. A la découverte de la chaire. De l'harmonium.
Avec ces mots qui me viennent soudain, comme dans une comptine.

Il y a longtemps que je t'aime.
Jamais je ne t'oublierai.

La devanture de la boulangerie. La grille de l'école des filles. Le dessin des vitraux.
Deux vies qui se superposent. Qui me confondent. Me donnent le vertige.
J'aperçois la ferronnerie au loin du clocher de St Jean. Le point de repère. Mon appart.
La couronne de la cathédrale. Le centre-ville. J'y cours. Mon parvis sans histoires.
Qui n'est plein que de la nôtre. Qui n'est plein que du présent. De ton ombre. Ton sourire.
Et de ton corps vibrant. De ton être vivant. D'aujourd'hui. De nous deux. De moi-même.
Du nouveau. De l'ancien. Qui te joue. Qui te jure. De ses doigts. Mon amour. A l'oreille
.


Il y a longtemps que je t'aime.
Jamais je ne t'oublierai
.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Septembre 2011 à Perpignan

 

 

Publié dans 40 lunes

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