A ma place

Publié le par maison-latger

 

 

Il y a ce long silence qui ne m'effraie pas.
Je ne suis plus seul à regarder le plafond. Nous sommes côte à côte.
Dans ce lit qui n'est pas à Rosas. Mais suspendu quelque part dans ma vie.
J'ai ouvert ma porte. Je sortais de la douche. Pris de court. Quand j'aime l'être.
Enfin non... Je n'aime pas l'être. Ou seulement par toi.
Je suis pieds nus, en caleçon, mes cheveux ne sont pas encore secs.
Et la conversation nous a retournés comme une feuille au vent.
Pour nous plaquer finalement sur ce matelas que je partage avec toi.
Oui, par toi, j'aime être pris de court. J'aime être surpris. Rien ne me dérange.
Pas même ce silence qui n'arrive pas à s'appesantir.
Tu as fermé les yeux. Et tu réfléchis. Ou cherches à ne plus réfléchir.
C'est ce que tu fais sans doute à ce geste que tu fais souvent,
quand tout ce qui traverse ton esprit menace de faire exploser ta tête.
Le pouce de la main droite dégagé et replié, à distance de ses quatre autres doigts.
La phalange saillante vient heurter ton front comme battant la mesure d'une partition.
Une façon d'éviter de te battre le crâne à coups de poing comme si la tentation était là.
Pour que tout ce qui te harcèle et te rend dingue s'arrête une fois pour toutes.
Tu ne me vois pas te regarder faire ce geste régulier. Ta tête écrasant l'oreiller.
La nuque brisée. Dans une position qui invite à venir poser mes lèvres sur ta bouche.
Le contact physique sera autre, lorsque j'éprouve le besoin de signaler ma présence.
Conscient de mon impuissance à soulager ton cerveau de ce qui le met en surchauffe.
Ton pouce frappe à la porte de ton front. Comme il ferait pour demander s'il y a quelqu'un.
J'embrasse ton autre main pour te dire que oui.

La fatigue met en valeur la lumière bouleversante de tes noirceurs.
Quelque chose de grave qui marque ton visage de quelque chose de terriblement sexy.
Et la pénombre de la chambre met en relief la noblesse éblouissante de ton profil.
Je te dévorerais. Là. Tout de suite. A l'instant où tu es si proche et si loin à la fois.
Quand au silence qui s'est installé, tu penses à mille choses qu'il faut mettre dans l'ordre.
Je ne cherche pas à savoir à quoi tu penses. A qui tu penses.
Je ne suis pas loin pour le moment où tu penseras à moi.
Il te suffira de basculer sur le côté. Tendre le bras. Je serai là.
Quand j'ai roulé ma tête dans mon oreiller pour l'écraser à mon tour,
planter mon regard dans quelque chose d'invisible au plafond.
Je te laisse à ce que tu dois faire. Ne cherche pas à m'imposer.
Je sais que te forcer la main est contre-productif.
Je me suis déjà risqué à le faire et ai vite appris que cela ne servait à rien.
Que cela au contraire était vécu comme une agression. Et c'est pour moi le pire.
Anéantissant mes tentatives quand tu disparaissais aussitôt dans ta coquille
qui se refermait chaque fois sur nous avec la réactivité fulgurante du piège à loup.
N'obtenant rien si ce n'est cette insupportable impression d'avoir pu te blesser.
Quand il est intolérable à mes yeux que ce qui vient de moi, entre nous,
puisse être perçu un seul instant comme une agression. Pas par toi. Pas venant de moi.
Les autres, pourquoi pas. Peu importe. Mais pitié. Pas par toi. J'en mourrais.
Je prends mon temps. Puisque nous en avons. Rien ne presse.
Et je te laisse venir à ton rythme. Au métronome de ton pouce.
Je suis confiant. Je ne m'inquiète pas. Je sais que tu reviendras vers moi.
Que tu reviendras à moi. Et je ne veux rien forcer. Au propre et au figuré.
Je ne suis pas sur toi. Je suis à côté. Et j'observe le silence sans un brin de panique.
Sûr de toi. Sûr de nous. Sûr de moi. Comme d'être à ma place.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2013 à Perpignan
         
 

Publié dans 40 lunes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article