Avril

Publié le par maison-latger

 

 

Voilà mon amour, nous y sommes.
Les battants enroulés sur les gonds pour ouvrir ma façade,
mes vieilles portes vitrées béantes comme mes bras sur la rue.
La chaleur, et la lumière, ont changé de nature.
Et le moteur d'un petit avion me renvoie à la plage en juillet.
La ville historique se déshabille, se débraille au soleil.
Le premier signe m'avait ému. L'eau revenue dans la fontaine.
Et voici que le platane sec est piqué de vert comme au pinceau d'un peintre.
Pointillisme. Les branches mouchetées de milliers de feuilles miniatures.
La nature se réveille et mon corps avec elle. Je respire.
Les bras ouverts sur leurs gonds comme mes portes-fenêtres.
Respirer un début de transpiration végétale que des bourgeons libèrent.
Le tissu nervuré qui s'impose à mes pores, à ma lymphe.
Le feuillage naissant m'hydrate et m'ouvre les poumons.
Le bleu du ciel est celui de l'été, vertigineux, d'une pureté insolente.
La chaleur de midi prête à faire éclater la terre et ma tête.
L'ivresse du renouveau. Je veux bien basculer.
Dans la magnificence de l'instant. De l'instinct.
Avec confiance.
Je t'aime.

La cathédrale éclairée, la nuit, dans l'air clinique de l'hiver,
s'offrait dans une bulle stérile, nettoyée par le froid et la mort.
La façade, sur le parvis, coulait vers le ciel comme le lit d'une rivière sèche,
où l'aval en amont n'était autre que Dieu.
L'estuaire était un cosmos ruisselant de constellations.
Du sol au plafond, l'église exhibait ses rangées de galets.
Pour chercher une source cachée dans le delta.
L'alpha et l'oméga.
La cloche sous vide a dû se fendre enfin.
Laissant pénétrer virus et moucherons.
La vie qui grouille à nouveau, envahit l'espace de son énergie diabolique,
vient exploser sur le bois d'une branche que l'on croyait morte.
De jeunes pousses jouent des épaules dans leurs camisoles,
comme l'oisillon venant fendre la coquille devenue trop étroite,
surgissant, cherchant d'urgence l'air à la surface
comme bébé venant au monde.

Hier encore, elles étaient invisibles.
Laissant le décor sec de toute trace d'imperfection.
En quelques heures, mon environnement a changé.
Je n'ai pas eu à ouvrir des volets que je n'ai jamais eu le goût de fermer.
Pas même en plein décembre. Pas même en plein janvier.
Derrière le verre soufflé de carreaux fragiles et irréguliers.
Le verre ancien et bullé, prêt à craquer comme du biscuit,
qui jouait avec la lumière de la rue sur l'écran des murs blancs de ma chambre.
Je guettais et ne voulais rien manquer, depuis l'été, depuis novembre.
Elles étaient invisibles et les voilà nombreuses, écloses en même temps.
Ces feuilles de platane qui vont dissimuler la façade de la cathédrale.
Qui vont manger le lit de la rivière, rappelant la force de l'eau.
Rappelant sa présence et sa suprématie.
Le monde sort de l'oeuf. Et j'assiste au miracle.

Ma peau est offerte. Elle cuit.
Il y a ce petit avion de tourisme. Que je ne vois pas.
Mes paupières sont fermées. Elles sont écarlates. Rouges. Oranges.
LSD. Mescaline. Un délire hallucinogène. Psychédélique.
La lumière à travers mes paupières. Des flammes dansent. Incandescentes.
Des rosaces se superposent. Chorégraphies hollywoodiennes.
Natation synchronisée sur mes rétines à l'abri du soleil.
Je suis comme allongé sur une plage. Avec le moteur de l'avion.
De ces avions qui traînent des banderoles publicitaires au-dessus de la mer.
Maman est étendue près de moi, sur sa serviette, la tête à l'ombre.
J'ai dix ans et ma peau cuit au soleil. C'est agréable. C'est voluptueux.
Ste Marie la Mer. Ou Barcelone. Le petit-déjeuner sous les pins.
J'ouvre les yeux et retrouve ma ville natale. Perpignan. 2011.
Le ciel est bleu. Insolent. Insolation. Hallucination.
La voûte est griffée de deux traînées de kérosène dorées.
La chevelure d'un Boeing minuscule perdu dans l'immensité.
Qui croise vers une destination lointaine, inaccessible, hors de portée.
Celui-ci, je ne peux pas l'entendre. J'imagine les passagers à son bord.
Où vont-ils ? D'où reviennent-ils ? Sont-ils heureux ou anxieux ?
Auront-ils jamais la chance de te connaître ?...

 


Le soleil sur ma peau et avril me découvre à nouveau.
Torse-nu, je nage dans un air estival en avance.
La pêche de mon épaule est juteuse, à ta bouche...
Elle enveloppe la tête de mon humérus humide.
Je me mords la lèvre. Je l'humecte.
Je demande un baiser profond. Te dévorer la langue.
Mon corps entier est une pêche. Il se délivre. Il est à toi.
La peau de l'épaule. La peau de mon avant-bras velu.
Tout devient doré, orange, sable, cuivré...
Et des parfums se dégagent, qui m'étonnent et me troublent.
Aussi familiers qu'érotiques.
Je t'aime.
Mange-moi.

L'eau a coulé pour polir le marbre rose de la fontaine.
Je suis rentré chez moi. Midi est déjà loin.
J'ai passé des heures à jouir des éléments, de façon animale,
de façon végétale, de façon minérale.
J'ai pensé à la terre... Moi qui aime la nuit, qui l'adore...
Cette bonne vieille terre... quelle bonne idée elle a eu
de tourner sur elle-même et d'offrir son flanc au soleil...
celui sur lequel je me tiens debout, pour que le jour se lève.
Elle tourne comme un poulet sur sa broche.
Et le jour qui s'allonge me rend toutes ses caresses.
Pour moi qui aime la nuit, comme tous les vampires de mon espèce,
quel bonheur de pouvoir attendre désormais l'aube
avec autant d'impatience et d'émoi que le crépuscule.
Désormais j'aime les deux. Le jour et la nuit.
Et je tourne sur ma broche, comme la terre au soleil.
La sensation de la chaleur sur le visage. Il manque le sel de la mer.
Il manque le sel de tes baisers.
Je suis rentré chez moi, j'ai traversé la ville.
Les lueurs se sont enfuies dans une explosion de couleurs.
Le bleu marine, puis sombre, anticipe les noirceurs de ma nuit.
Vient au galop chasser les derniers rayons du soleil.
J'aime le crépuscule comme j'aime l'aurore.
Le coeur léger, le bonheur est trop lourd, me fait presque souffrir.
Trop de voluptés sont difficiles à embrasser. Quand j'aimerais tout prendre.
L'eau a coulé pour polir le marbre de la fontaine.
Au pied de la cascade de pierres de rivière,
le cayrou de la façade de la Cathédrale St-Jean.

Mon appartement est dans le rempart de la ville.
Le premier mur d'enceinte. Celui de la ville primitive.
Ma rue enveloppe le presbytère d'un arc généreux.
S'élance vers le Campo Santo et protège la basilique.
Le chemin de ronde. Etroit et mystérieux.
Des siècles d'Histoire et d'histoires fantômes.
Je vis dans les murs de la ville. Dans une muraille perdue.
Dans un appartement fendu de deux portes-fenêtres.
Ouvertes. L'une et l'autre. Grandes ouvertes.
A ne plus savoir où est le dedans et le dehors.
Il n'y a plus de mur. La fontaine chuinte dans mon bureau.
J'entends l'eau qui travaille le marbre comme ma peau sous la douche.
Il n'y a pas d'érosion. Il n'y a que l'érotisme.
Je savonne ton corps qui ruisselle d'écume. La vie et le plaisir.
Le platane est complice. Il entre dans la chambre. Et la nuit avec lui.
La lumière des éclairages publics joue avec son feuillage si jeune.
Sa chevelure crépue d'un vert phosphorescent.
Le platane est vivant. Vibrant. Comme le désir.
Mon coeur n'est pas de pierre.
Je ne suis pas de bois.

La nuit coule dans la fontaine au milieu de la pièce.
Dieu déborde sa maison. Et passe les murailles.
Il traverse les fibres de ma chair encore brûlante.
Je ne sais pas si c'est Dieu. Je ne sais pas ce que c'est.
Ce qui est sûr est que je suis traversé.
J'ai dix ans sur la plage. Puis, d'un âge moins chaste.
Je rêve de t'aimer à l'ombre d'un été volcanique.
De m'enrouler dans les coulées de lave et le ressac de la mer.
Aux volutes du tabac, aux moustiquaires, aux voiles d'un bateau.
L'eau a coulé sur les cailloux de la façade religieuse.
A nettoyé les alvéoles d'un mur érigé vers les cieux.
Multicolore. Rose. Gris. Rouge. Saumon. Safran.
La rivière face à moi me cache de grandes orgues.
Et la foi d'une population étonnée d'être là.
Je ne suis pas à genoux pour prier.
Je suis debout. Au garde-fou. Et j'inspire.
Mes bras ouverts pour protéger la ville primitive.
Ils font un arc de cercle. J'embrasse le monde.
Et tu es au milieu.

Des enfants vont naître. J'en connais les parents.
Je suis ému. Face à ce que nous avons à leur offrir.
Face à ce que le monde leur prépare.
Je n'entends plus l'horreur d'une actualité terrible.
Les armes de la Libye et de la Côte d'Ivoire.
Les larmes du Japon, et celles de la faim.
Derrière les guerres, il y a une soif de liberté insatiable.
Il y a des peuples qui se lèvent pour exister enfin.
Et la convergence du déterminisme. Celui d'être heureux.
Le bonheur est plus cher que la paix.
Et l'espoir plus cher que le bonheur.
Et j'en ai à revendre, pour ceux qui viennent, ceux qui arrivent.
Prêt à leur montrer ce que je vois sous mes yeux.
Prêt à leur transmettre l'émotion d'être en vie.
Il faudra peut-être se battre.
Mais qu'ils viennent ! Rien n'est plus beau que le monde.
Avec ces feuillages naissants contre les pierres millénaires.
Et l'amour qui attend l'aube ou le crépuscule.
J'ouvre les bras. Pour les protéger. Et les accueillir.

Deux traînées de kérosène dans le ciel. Bleu... bleu...
De ce bleu qui m'a tiré des larmes au-dessus de la Grèce.
De ce bleu antique et intemporel. Antérieur au règne des hommes.
De ce bleu qui lui survivra.
Celui, mythologique, des matins de toutes les civilisations.
Le bleu du jour victorieux, éternel, maternel.
La Méditerranée.
Je suis dans les rues de Plaka. Ou sur le port d'Izmir.
Sur les Ramblas de Barcelone.
Au garde-fou de mon appartement.
L'air est chaud. Il est doux. Il me caresse amoureusement.
Et je vais dîner avec toi sous un plafond de vigne et d'étoiles.
La mer, la nuit, devient païenne. Une monstruosité.
Et la terre, sur sa broche, tournera jusqu'au petit jour.
Qui nous surprendra, enlacés, dans des draps de coton.
J'ouvrirai mes yeux sur toi. Mon rêve se prolonge.
Comme le jour qui s'ouvre et promet des merveilles.
La nuit s'endort. Tu te réveilles.
Je t'aime.

L'hiver est derrière nous. Il fut sublime.
Pour une fois dans ma vie, j'ai appris à l'aimer.
Puisque tu m'y as accompagné. Le rendant torride.
La broche tourne, le monde bascule, nous avons changé d'heure.
Je glisse vers l'été. J'ai lâché prise. Je me laisse emporter.
Le platane va manger la façade de la cathédrale.
Le végétal l'emporte sur le minéral.
Le feuillage va devenir dense. Envahir l'espace.
Je deviens solaire et chlorophyllien.
Les branches dans ma chambre. L'arbre va tout manger.
Dévorer le rempart où je suis installé.
Perpignan est une fleur béante. De pollen et de sève.
D'abricots. De muscat. De miel et d'amandes.
De pâtisseries arabes. Et de jus de citron.
Le vert contre le bleu. Et sur le marbre rose.
Le sang et or d'un drapeau où l'incendie s'ébroue.
Je suis palmier. Quand le vent est tombé.
Mes Pyrénées. Orientales.
Ou le Centre du Monde.

Puisque nous y sommes.
Toi et moi.

 

 

 


Philippe LATGER
Avril 2011 à Perpignan

 

 

Publié dans 40 lunes

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