Chambre solaire

Publié le par maison-latger

 

 

Il vient lécher la façade, en réveiller la couleur, moutarde, ou curry,
avant d'envelopper les croisillons de mes bastingages,
caresser le bois de mes volets rangés, pliés comme du linge propre,
pour le laisser pénétrer dans la pièce, ramper jusqu'au pied du lit,
puis monter sur le matelas où je suis encore endormi.
Il passe sa main chaude sur ma jambe, sur un bras, une épaule,
expire sa chaleur à mon visage pour me tirer d'un rêve sans importance.
Je m'étire à son emprise, heureux d'ouvrir l'oeil à son sourire,
et son étreinte matinale est une invitation au voyage.
Ok. L'été est revenu. Et j'en retrouve chaque sensation.
J'embrasse le soleil sur la bouche. Lui roule des pelles avec une conviction amoureuse.
Celle d'une histoire de 38 ans. Quand il m'a connu bébé, et enfant, et ado.
Qu'il sait tout de moi. Et qu'il m'accompagne depuis que j'ai vu le jour.
Il est la part sensuelle du monde. La part lumineuse et festive. La part lascive.
Quand il dévore tout, des formes et des volumes, de l'espace et des couleurs,
qu'il dilue tout dans sa chaleur bienfaitrice, jusqu'à ma peau luisante qui se liquéfie.
Il est venu me lécher la main, cette main molle, inanimée, qui pend dans le vide au bord du lit,
que viennent lécher les animaux de compagnie venus vous faire la fête au petit jour,
avec l'impatience d'un enfant qui veut profiter de la belle journée qui commence.
Oui. Il fait beau. Et même si je n'ai pas assez dormi, je me laisse faire par le gosse impétueux,
convenant du fait, en effet, qu'il serait honteux de ne pas se lever faire honneur au ciel bleu.
Le campanile éblouissant de blancheur tranche sur cet azur effrayant de pureté.
Qui semble vertigineusement vide. Et me tient plaqué à ma fenêtre, en caleçon,
les cheveux en désordre et les yeux gonflés, quand monte doucement une envie de café,
de tartines et d'agrumes, d'un petit-déjeuner.

J'ai les voiles au large, sur la mer du matin, et cette lumière grisante et sereine,
du début de quelque chose, avec le temps de ne pas y penser, d'apprécier seulement.
Sans me soucier de ce que j'ai à faire. De ce qui arrivera. Respirer et sourire.
Ramener du sable dans mes cheveux. Dans le maillot de bain et la marque du bronzage.
La pénombre fraîche de la maison comme un répit à ce bonheur intense, aussi brut que violent.
L'odeur de la laque de la soeur de maman. L'eau de cologne espagnole. Et les menuiseries.
Odorifères. Les piqûres de moustiques et les échardes des planches. Acuponcture de fortune.
Les aiguilles de pin sèches et dépigmentées qui griffent et se cassent sous les pieds nus.
Le chemin de la plage. La margelle de la piscine brûlante. Les aspérités du terre-plein.
L'incendie des cigales qui font feu de tout bois. Qui font tourner la tête.
Et la toile du parasol, délavée, comme celle de la balancelle, qui dégage un parfum discret,
du textile cuit et usé, aussi timide et émouvant que celui de la branche de tomate.
C'est tout au fond des bronches que je perçois cette odeur, au plus loin d'une inspiration.
A peine perceptible. Et les images qu'elle met en mouvement reviennent me bouleverser.
Au platane, je vois le pin parasol, poussiéreux, écrasé de chaleur,
sur les hauteurs de Gavà et de Castelldefels.
Les hydrocarbures de la autopista. Le poulet du dimanche. Et les bonbonnes d'eau.
Le claquement des tongs aux talons. Le coton rêche des serviettes.
Les voix graves et voilées, arabo-andalouses, d'êtres chers, tout autour,
ou d'êtres familiers.

Je suis fait de tout. D'hier et d'aujourd'hui.
Du bonheur passé et de celui qui vient. Cet étrange présent, à peine balisé.
Aux frontières brumeuses. Aux contours incertains. Qui bave ou s'évapore.
Le soleil est stoïque. Il sait que je le tiens. Il sait que je le porte. Dans mes fibres.
Il se moque de l'âge que j'ai. Il se moque de ce que j'ai à faire. Il s'agit d'être ensemble.
Juillet en retard. Peu importe le jour. Peu importe l'horaire. Nous ne faisons qu'un.
Mon corps cède à sa force. S'abandonne au plaisir. Lâche prise et rayonne.
Il gagne en énergie. Se répare tout seul. Effectue des réglages. Se régénère enfin.
Je suis bien dans sa peau. Les muscles affûtés. Le terrain irrigué. Et opérationnel.
Mon cerveau en repos sur son pont élévateur. On s'occupe de tout. Je n'ai qu'à respirer.
On reconnecte les circuits. On reconfigure. On passe tout au peigne fin.
Et je n'ai qu'à sourire aux pensées positives. Aux pensées érotiques.
Quand mon sexe, jamais loin, intervient, prend sa place ou sa part de délice.
Des fonctions autonomes, au contrôle technique, vérifiées au crash test du bonheur absolu.
Mon coeur tient le choc. C'est un moteur Rolls-Royce. Qui ronronne à ton nom.
Il tourne. Comme la terre autour du soleil. Autour de toi. Centrifugeur.
Quand tu me débarrasses de ce qui est inutile, de la rouille et du tartre.
De ce qui paralyse. Le calcaire du temps aux articulations. Et la peur d'avancer.
Ou d'être quelque chose. Pour être enfin présent. Prêt à m'ébouillanter,
aux vagues déferlantes d'un plaisir monstrueux, beaucoup plus grand que moi,
d'un bien-être si fort, à peine supportable, qu'il devient dangereux.
Je me prépare au combat, à tenir la distance, pour ne pas être noyé. Pour ne pas être broyé.
Préparation physique à ces extrémités. Où les sens affolés provoqueraient ma perte.
Je suis prêt à mourir. Je suis prêt à survivre. Je suis prêt à gagner. Je suis prêt à aimer.
Aux mains de ce coach qui me masse au plus haut de la voûte.
Je suis à la dérive, matelas pneumatique, à la surface d'une eau où la vie veut éclore.
Où la vie, du néant, mijote un Big Bang imminent, au fond de ma piscine.
Prêt à tout calciner pour nous faire de la place.

Chaque jour, quand il peut, il revient, comme un ami fidèle.
Il se plante à ma porte. Et force mes fenêtres.
Il monte l'escalier. Sourit à mon sourire. Accepte mon baiser.
Je lui ouvre mes volets. Je lui ouvre mon lit. Je lui ouvre ma poitrine.
L'été à ma façade. La chaleur à mon corps. L'avenir dans les branches.
Il vient mouiller mes draps aussi sûr qu'il les sèche. Il me fait transpirer.
Quand il me gorge de désirs à mesure qu'il me boit et qu'il me déshydrate.
Je suis le fruit juteux et la dalle de schiste. Végétal. Minéral. L'animal polymorphe.
Pulpe et pépins au raisin de ma vigne. Au sirop des agaves. Et au lait de coco.
Au hamac paresseux, il sait faire de l'ombre. En irradiant le reste d'un feu inapaisable.
Il révèle la nuit. Il révèle les ténèbres. Il débusque la fraîcheur comme l'obscurité.
Rend possible le contraste. Sublime son contraire. Et fait aimer la pluie, et l'or du crépuscule.
L'heure de te retrouver, quand le soir se réveille, aux lumières du port et de cieux étoilés.
Le monde lui tourne le dos. En tournant sur lui-même.
Et je t'ai pour l'attendre quand l'aube vient trop tôt.

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

Publié dans 40 lunes

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