Fuir le bonheur de peur

Publié le par maison-latger

 

 

Saint-Cyr sur Mer. La Ciotat. Cassis.
Le train que je n'ai pas pris.
Le train dans lequel je ne suis pas monté.
Mes pieds tordus dans les rochers. L'eau aux mollets.
Je suis enfant. Côte varoise. Où étais-tu ?...
Pins parasols et eau turquoise.
Tu as cinq ans de plus que moi.
Et je me traîne au Châtelet dans un cocktail
où je ne me sens pas vraiment à ma place.
Je veux être en slip de bain sur la terrasse.
Bouffer la mer et le soleil. Bouffer l'été.
Marseille me conviendrait. J'veux des cigales.
De la lumière à m'en brûler les yeux. De la chaleur.
Du sexe jusqu'à plus soif. De la moiteur. Et tout le sel.
J'ai des muscles à activer. J'veux de l'action. La séduction.
Aux regards sombres qui me plaisent.
Le bleu peut rester dans le ciel. Je veux du noir.
Dans le regard. Les précipices.

Aux Frigos. Paris. Tolbiac.
La tour d'angle du fort est lugubre. La friche industrielle.
J'ai gravi les marches jusqu'au loft rococo d'un Paolo Calia.
Marie Nimier et son rire éclatant. Agnès Jaoui. Patrice Leconte.
Je file au bar. Il me faut boire. Dominique Besnehard.
Je suis troublé au regard qui me dévore. Maria de Medeiros.
Sortez-moi de là. Lisbonne. Je veux l'océan. Madère et le Brésil.
Tu étais là. Je cherchais des ciseaux. Qu'on me coupe les cheveux.
Aux mots que nous échangeons. New York me rit au nez.
Paris est dure. Dans les salons baroques de ce loft improbable.
On me présente. Qui au juste peut encore se rappeler de moi ?...
J'ai ici quelques amis. Et toi. Voilà. Tu te rappelles. Mon agenda.
Ce matin où tu m'as demandé pourquoi je ne resterais pas.
Le matin du départ. La rencontre la veille. Qu'on me coupe les cheveux.
Nous nous sommes trouvés nez à nez dans le lobby de l'hôtel.
Le concierge était allé voir s'il n'avait pas mon agenda.
J'avais un avion à prendre. Mon billet était dedans. Je ne suis pas resté.
Quand il y a des trains dans lesquels je ne suis pas monté.

Perpignan. Manhattan. La Ciotat.
Deux ans après Park Avenue. Je suis dans les Frigos.
La chevelure épaisse. Je tourne le dos à l'assistance. Face au bar.
J'ai besoin d'un whisky. Et je sens que quelqu'un est à côté de moi.
Il n'y a pas de poète. L'ombre d'un parolier qui ne veut que du sexe.
Qui ne veut que la mer. Les histoires d'amour. La sensualité.
Qu'on me coupe les cheveux. Je n'étais pas resté. J'ai dû quitter New York.
Deux ex sont dans la salle. Le terrain est miné. Je dois boire un whisky.
Près de moi un fantasme ou un acte manqué. Qu'on me coupe les cheveux.
Tu m'adresses la parole. Oui. Manhattan. Bien sûr. Tu te souviens.
Je t'avais glissé entre les doigts. Et ce soir, c'est tout qui se dérobe.
Deux ans après. Mes cheveux ont poussé. Beaucoup trop à ton goût.
Les cheveux, ça se coupe. Et je cherche des ciseaux.
Qu'on me rase la tête. Je ne désire que toi.
Maria de Medeiros promène son regard en sortant de la pièce.
Un frisson me parcourt. Le sol s'est dérobé. Je suis dans les rochers.
Je veux de l'eau turquoise. A Cassis. A Bandol. Retourner à Marseille.
Il y a des trains dans lesquels je ne suis pas monté.

A distance on peut savoir d'avance.
Pas besoin de toucher pour savoir que la peau accuse une attirance.
Un jour on peut se plaire. Rester impressionné.
Et la vie qui se marre propose une deuxième chance.
Moi je ne ris pas trop. Quand j'ai déjà trop bu.
Le mystère est plus sexy que l'alcool pathétique.
Qu'on me coupe les cheveux. Je suis ivre et j'enrage.
A cette deuxième chance qui me passe sous le nez.
Je ne pouvais rester. J'aurais bu davantage.
Et aurais fini par me donner en spectacle.
A embrasser tout le monde, par dépit, faute d'avoir ta bouche.
A faire n'importe quoi. Quand je n'avais plus l'âge.
Cendrillon est barbue. S'est enfuie à nouveau.
A New York. A Paris. Je n'ai pris que la fuite. Ou manqué de courage.
Je devais rester digne. Toi, tu aurais joué. Tu m'aurais fait du mal.
J'ai posé mon whisky. Attaché mes cheveux. Et je me suis sauvé.
Quand j'ai su que tu aurais pu faire ce que tu voulais de moi.
Y compris m'humilier. T'amuser. Me prendre et me jeter.
Il y a des trains dans lesquels il ne faut pas monter.

Au Swissôtel, je suis censé être avec quelqu'un d'autre.
Qui est assis en face de moi. Et je tâche de faire bonne figure.
Tout ça n'est pas très clair. Quand une chose est sûre.
Je savais que je pouvais tomber amoureux de toi.
Le lendemain matin, il suffisait de dire oui.
Je l'avoue. J'ai eu peur. Comme au bord des falaises.
Le concierge de l'hôtel revenu avec mon billet d'avion.
Je pourrais rester. Oui... Que serait-il arrivé ?
Quelque chose m'a dit que c'était trop risqué.
Que je n'étais pas à la hauteur. Et que j'allais en chier.
Partir pour JFK était de ces déchirements acides et voluptueux.
La situation était trop compliquée. Quasi vaudevillesque.
Et la pute qui est en moi m'a laissé tout seul avec mes scrupules.
Dans ce nouvel avion pour rentrer à Paris.
Aux Frigos, j'étais moins élégant. Banderas en déroute.
Quand le destin s'amuse. Je ne l'ai pas trouvé drôle.
Et faute de ciseaux, j'ai trouvé l'escalier pour m'enfuir à nouveau.
Je suis fait pour la mer et les pins parasols.
Je m'y cache aujourd'hui avec les cheveux courts.
Je ne suis pas poète mais je tiendrai mon rôle.
Je suis fait pour la mer. Je suis fait pour l'amour.
Et il y a quelques trains que je n'ai pas ratés.


 

 

 

Philippe LATGER
Mars 2013 à Perpignan

 

 

Publié dans 40 lunes

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