Le temps de l'être

Publié le par maison-latger

 

 

C'est bizarre. Quand j'y pense. Vraiment. Tout ça est bizarre.
Il fait nuit. Il pleut. Il tombe de l'eau du ciel.
Bien sûr, je sais. L'attraction terrestre. On m'a expliqué.
Je suis au courant. L'eau ne peut pas partir dans tous les sens.
Je suis d'accord. Donc, elle tombe du ciel vers le sol. Avant de s'évaporer.
Mais l'eau, déjà, rien que l'eau, quand on y pense... c'est bizarre.
L'humeur. Une autre chose que l'on peut m'expliquer. Que je ne comprends pas.
Nous sommes fin janvier. Il fait nuit. Il pleut. Je suis seul. Dans mon lit.
Et l'humeur... Comment est-ce possible ? Je suis heureux.
Je le sens dans ma gorge. Dans ma tête. Dans ma poitrine. Dans mes membres.
Je sens, je sais que je suis heureux. Et je n'en reviens pas.
Et je n'en finis pas de trouver ça bizarre.
L'humeur, comme l'eau. Qui tombe. Qui s'évapore. Un cycle.
La nuit d'avant, j'aurais voulu me suicider.
Cette nuit, je suis heureux de ne l'avoir pas fait.
Et je suis bien. Aussi vrai que j'étais mal. Aussi intensément que j'étais mal.
J'ai même cette intuition que je me sens d'autant plus bien que j'ai été mal.
Que cette nuit d'horreur, celle d'avant, a participé à mon bonheur présent.
C'est bizarre. De se sentir bien. De se sentir mal. De se sentir.
J'aime la nuit. J'aime la pluie. J'aime la fin janvier. J'aime l'hiver et ma ville.
J'aime les gens. Oh oui. Je les aime. Même les cons. Les furieux. Les violents.
Je les aime tous. Même les moins aimables. Ils font partie de moi.
Un cycle. On pleut. On s'évapore. Rien ne se perd, rien ne se crée.
Tout se transforme.
Je suis amoureux. Au-delà de l'amour. Amoureux de tout.
De la pluie. De la nuit. De ma ville. De l'hiver qui s'en va.
Je le sens dans mes bras. Dans ma gorge. Dans ma tête.
Je suis heureux d'être là.

Je crois savoir ce que c'est. Ce bonheur. Là. Tout de suite.
Je suis dans mon lit comme dans un bain. Tranquille. Serein. Olympien.
Je sais ce que c'est. Mon impatience ! Voilà. L'impatience s'est tue.
Cette impatience, tyrannique, qui a fini par fermer sa gueule.
Le bien que ça fait. Si vous saviez. Ce que c'est bon...
Elle a fini par lâcher prise, par s'épuiser, par me lâcher la grappe. Me foutre la paix.
Voilà. La paix. Je suis dans la baignoire de mon lit. J'existe. Ici. Right now.
Et j'ai confiance en tout. En moi. En toi. En nous. En eux. En la vie.
Je n'ai rien fumé. Je n'ai rien gagné. Je n'ai rien perdu. J'écoute la pluie.
Le bruit qu'elle fait. Au silence de la rue. Rien qu'elle. Rien que la pluie.
J'en pleurerais. Tellement c'est beau. Tellement c'est doux. Envoûtant et sexy.
La pluie qui pleure. Qui m'éclabousse. Sans m'agacer. Je la reçois. Avec plaisir.
Avec tendresse. Quand elle n'empêche rien. Alors qu'elle me caresse.
Le désir alors n'est plus une frustration. Le désir devient une promesse.
Et s'il n'est plus une torture, il devient quelque chose de solaire aussi fou que l'espoir.
Le désir dont mon corps est capable ne le malmène plus, n'est plus une souffrance.
Le désir que je porte devient aussi bienfaisant que la pluie. Aussi doux. Aussi beau.
Et ce n'est plus l'enclume qui m'accable, mais la clé d'une geôle pour ma libération.
Je ne suis pas pressé. Je suis libre. Et cette liberté à l'instant ne provoque aucune panique.
Au contraire. Je l'embrasse. Avec vous. Ceux qui me lisent et ceux qui ne me lisent pas.
Ceux qui m'aiment et ceux qui ne m'aiment pas. Je suis libre. Vivant. Heureux.
Parce que je prends mon temps.
Je prends le temps de l'être.
Tout va bien. Le reste peut attendre.
On meurt bien assez tôt.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Janvier 2014 à Perpignan

 

 

Publié dans 40 lunes

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