N'être qu'au monde

Publié le par maison-latger

 

 

Je me fous d'être pauvre.
Je préfère être pauvre que classe moyenne.
Etre riche m'indiffère. Quand l'argent ne m'apporte rien.
L'argent pouvait manquer si c'était pour faire plaisir autour de moi.
Mais j'ai appris à faire plaisir de mille manières qui ne coûtent rien.
Je me fous d'être pauvre.
Quand je suis plus heureux pauvre que classe moyenne.

Je partage la vie de mes amis. Parfois je rends service.
Je garde des enfants. Je fais du jardinage.
Je les accompagne au supermarché. Et puis au restaurant.
Ce n'est pas ma vie. Ce n'est pas mon quotidien. C'est comme un jeu de rôle.
Quand je me frotte à des préoccupations qui ne sont plus les miennes.
Que ferais-je d'un écran plat ? Que ferais-je d'une voiture ?
Je ne possède rien. Ni maison, ni épouse, ni enfants, ni personne.
Ce que j'ai hérité de ma mère, je l'ai craqué comme une allumette.
J'ai été riche. Et c'est par expérience que je le sais. L'argent ne m'apporte rien.
C'est parce que j'en ai eu que je sais les problèmes qu'il crée. Ceux qu'il ne résout pas.
Voyager en classe affaire ? C'est fait. Les hôtels de luxe ? C'est fait.
Etais-je plus beau avec des fringues hors de prix ? Etais-je plus heureux ?

A six heures du matin, un peu avant l'aube, il y a des oiseaux qui commencent à chanter.
Le jour va se lever bientôt. Et je suis pris d'une émotion intense qui ne me coûte pas un rond.
L'argent est impuissant à rendre vivant. L'argent est impuissant face à la mort.
Et faute de gagner ma vie, je ne veux pas la perdre à courir après cette arnaque.
On croit l'attraper et le fric se dérobe toujours. Personne ne l'emporte dans la tombe.

Parce que j'ai été riche, je me fous d'être pauvre.
Puisque j'ai déjà eu ce qui aurait pu me manquer au point de devenir un moteur.
Voyager jusqu'à Bali et l'Australie ? Déjà fait. Rencontrer des stars du cinéma ? Déjà fait.
C'est comme le sexe mon amour. Pourquoi en voudrais-je quand j'en ai eu autant ?
J'en ai eu jusqu'à l'overdose. De la pornographie aux partouzes à s'y perdre.
C'est bon. C'est fait. Je connais. Et, si j'ose dire, j'en ai fait le tour.
Pour le pognon, c'est pareil. Les placements financiers. Le sourire du banquier.
Epargne logement. Assurance vie. Les actions. Ce que c'est qu'un portefeuille.
Non. Je m'en fous. Tout ça ne vaut rien. Et posséder est une bien triste illusion.
La richesse ce n'est pas l'avoir, c'est le savoir.
Savoir qui on est. Savoir que tu es. Toi que j'aime et qui es ma seule fortune.
Ce sont les rencontres. Et je n'investis que sur mes relations humaines.
Je me fous d'être pauvre quand je ne le suis pas.

Je ne profite pas mieux de mes amis dans un hôtel de charme Relais&Château.
Je profite d'eux lorsque je cesse de désirer autre chose que ce que j'ai.
Que je suis bien où je suis. Avec qui je suis. Au moment où j'y suis.
Je me fous d'avoir un duplex digne d'un catalogue à la hauteur de névroses tenaces,
de complexes d'infériorité, de manque de confiance en soi et d'imagination.
Je ne suis riche que de vous. Je ne suis riche que de toi.
Et j'ai découvert que je pouvais être aimé sans voiture et sans écran plat.
Que je pouvais être aimé sans fringues hors de prix et sans maison à Ibiza.
Que je pouvais être aimé sans argent.
Quand je peux enfin être certain qu'on ne m'aime pas pour lui.
A ne rien posséder, je sais que l'on m'aime pour ce que je suis, pour ce que je fais.
Et manifestement pas pour ce que j'ai. Ce qui, à mes yeux, est bien plus valorisant.
C'est une liberté. Qui au lieu de me priver m'offre tous les possibles.

Bien sûr que nous ne vivrons jamais ensemble. Mon amour.
Quand je suis une voie parallèle qui ne peut être la tienne.
Nous aurions pu nous y retrouver si tu n'avais pas pris d'autres engagements.
Et je suis au bord de ta vie comme je suis au bord de la vie de tout le monde.
Au bord de la vie de ma famille. Au bord de la vie de mes amis.
Quand je suis spectateur de toutes, et que je ne peux pour cela m'y immerger tout à fait.
Je peux bien faire du jardinage mais ne veux pas acheter une maison.
Je peux bien garder des enfants mais ne veux pas en faire.
Qu'on ne s'y trompe pas. Je respecte tout le monde. Ne regarde rien de haut.
Quand je dirais plutôt que je regarde de côté. A la même hauteur que mes semblables.
Que j'aime et que je ne juge pas. Et dont je comprends parfaitement les choix.
Je n'ai peut-être pas la même approche de la nécessité. De ce que l'on doit faire.
Pour être un homme. Pour être heureux. Quand je me fous de ce qu'on pense de moi.
Et quand personne ne me dictera jamais ce que je dois faire de ma vie.

Je me fous d'être pauvre.
Je préfère les oiseaux à six heures du matin que les écrans plats.
Je m'émerveille chaque jour au soleil qui se lève.
Et suis indifférent aux voitures de luxe comme aux soirées people.
Marbella, Miami, Manhattan. C'est fait. J'ai compris. Je vois bien ce que c'est.
Les yachts de Puerto Banus ou de St-Tropez. Entre nous, qu'est-ce que j'en foutrais ?
Des oeuvres d'art ? Une cave ? Des pierres précieuses ? Des chevaux ? Des maîtresses ?
Je ne suis pas joueur. Et si j'ai été collectionneur, la vie m'a recadré.
J'ai perdu tout ce que je collectionnais. Et retrouvé ma liberté.
Posséder fait peser. Entrave. Englue. Empêtre. Paralyse.
Et c'est à cette légèreté inattendue que l'on gagne en perdant
que l'on prend la mesure de l'enclume que nous nous traînions jusqu'alors.
Je me fous d'être pauvre.
Quand je n'ai jamais été si heureux que depuis que je le suis.

La classe moyenne, je ne la méprise pas.
J'en viens. Et, d'une certaine façon, j'en fais toujours partie.
C'est juste que je refuse les codes qu'on prétend lui imposer.
Que ceux qu'on lui impose ne sont pas ceux que je veux pour mon restant à vivre.
Le temps. Voilà la vraie richesse. Et je le tuerai comme je l'entends par moi-même.
Etre pauvre devrait me précipiter dans les supermarchés où les choses sont moins chères.
Je ne paie pas l'alimentation au prix cher du centre-ville par snobisme.
Mais parce que je refuse de perdre du temps dans une grande surface.
Pas parce que je trouve les grandes surfaces vulgaires.
Mais parce que je préfère faire autre chose que la queue à la caisse.
Et le prix à payer, que j'assume, est de payer plus cher.
Certains trouveront ça stupide. Mais ce n'est pas parce que je ne sais pas compter.
C'est tout le contraire. C'est juste que je compte en minutes et non pas en euros.
Quand mon temps coûte plus cher que toutes les monnaies du monde.

Avoir, c'est savoir.
Et la richesse, dans tous les cas, est tout sauf matérielle.
Lorsque la matière sépare. J'aime moins prendre que comprendre.
Quand j'ai appris autre chose encore. On ne profite vraiment que de ce que l'on partage.
Et si le temps est mon seul capital, je le partagerai, même au bord de leurs vies,
avec tous les gens que j'aime et dont tu fais partie.
Savoir que l'on va mourir. C'est le butin ultime. Et l'argent peut aller se rhabiller.
Quand à cette conscience on voit toutes les choses comme elles sont. Extraordinaires.
Et l'on ne peut être blasé au jour qui se lève en sachant que ce pourrait être le dernier.
Je peux être pauvre dans des statistiques ou dans le regard des voisins. Who cares ?
Je ne peux le regretter lorsque c'est ce qui m'a permis de te rencontrer.
Si j'avais gardé mon train de vie, ta route n'aurait jamais croisé la mienne.
Jamais je n'ai été aussi heureux que depuis que je n'ai plus d'argent.
Je m'occupe du jardin. Je m'occupe des enfants. Je vais au supermarché.
Une pierre deux coups. Je rends service à des amis et me rends compte que j'aime ma vie.
Différente de la leur. La mienne. Où je peux m'occuper de toi sans que tu ne m'appartiennes.
Nous ne vivrons jamais ensemble.

Car si je me fous d'être pauvre, je me fous d'être seul.
C'est la même leçon. Puisqu'être seul aussi est une vision de l'esprit.
Je n'ai jamais été seul comme je n'ai jamais été pauvre.
Et l'on sait comme on peut se sentir seul même au milieu d'une fête entre amis.
Etre entouré ne vaincra jamais la solitude. La solitude est perçue comme un problème.
Quand j'ai appris encore. Elle n'est pas un problème. Elle est notre condition.
Et c'est en ayant accepté d'être condamné à mourir comme à la solitude,
pour être un être humain, que le bonheur est la chose la plus simple du monde.
Il suffit de respirer. Il suffit de te regarder mon amour.
Au plaisir d'exister on évite des pièges et l'on gagne du temps.
Les frustrations reculent devant la certitude d'avoir autant de chance.
Le verre à moitié plein remplace le moitié vide. Au point d'être à ras bord.
Je ne pourrais me plaindre de te voir si peu quand j'aurais pu ne jamais te connaître.
Que nous ne nous aimerions probablement pas tant si nous nous voyions beaucoup.
Quand il est aisé de pleurer sur tout ce que l'on n'a pas et ce que l'on n'aura jamais.
Je peux ouvrir les yeux. C'est en étant lucide que j'ai tous les moyens de rester optimiste.
Il n'y a pas d'imbéciles heureux. Pour une raison simple.
On ne peut être heureux sans conscience de l'être.

Je me fous d'être pauvre.
Parce que j'ai été riche. Que je le suis toujours.
Que je ne vis que pour toi, mon amour, et pour les gens que j'aime.
Quand l'argent ne sauve personne. Qu'il est une convention.
Que l'humain a pu l'être avant de l'inventer.
C'est une convenance. Une organisation. Une vue de l'esprit.
Qui a la vertu de fixer des valeurs sur lesquelles nous entendre.
Quand c'est un compromis. Alors même qu'il est le nerf de toutes les guerres.
Mais au-delà des accords, des règles et des contrats qui font la société,
nous sommes seuls juges de la valeur des choses, de leur place dans nos vies.
Et c'est ma liberté de te voir comme ce qu'il y a de plus précieux.
Quand tu n'as pas de prix.


 

 

 

Philippe LATGER
Avril 2013 à Perpignan

 

 

Publié dans 40 lunes

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