Plaisirs terrestres

Publié le par maison-latger

 

 

Debout dans le petit bain de la piscine, j'avance dans l'eau aveuglante,
dans un brasier de lumières et de délices pour les cinq sens que les dieux m'ont donné.
L'élément H2O, dans ma marche, me caresse l'intérieur des cuisses et des mollets.
Le soleil brûle mes épaules déjà cuites quand je viens m'adosser à la margelle.
Dans un coin du bassin où je me cale pour offrir mon visage, la tête en arrière,
les cheveux mouillés, au ciel tout entier qui me dévore la bouche et le cerveau,
les bras pliés, les coudes loin derrière, je suis posé sur mes seuls avant-bras
bandés sur les dalles minérales du bord, ouvrant ma poitrine, laissant flotter le reste,
de mes jambes qui se laissent aller dans l'imperceptible courant d'une masse transparente,
je ne pense à rien sinon à mon bonheur d'être vivant qui n'est pas une pensée.
Incapable de réfléchir, je suis juste existant. Un corps dans un corps plus grand que moi.
Dans un monde bénéfique, merveilleux, capable des plus grandes voluptés possibles.
C'est l'heure de la sieste. Nous nous sommes levés de table. Avons déjà déjeuné.
Après un café à l'ombre, la famille s'est repliée à l'intérieur de la maison.
Au paroxysme de la chaleur d'un après-midi de juillet, on somnole au frais,
le rythme cardiaque ralenti sous une épaisse lourdeur qu'on laisse s'installer.
Et je profite de l'intermède pour gagner la piscine et le jardin dont je suis le seul maître.
Les miens sont à l'abri, en sécurité, en haut de l'escalier de bois au milieu des pelouses.
Confiés aux rêves et au sommeil léger du repos diurne à la fraîcheur du bâti.
Et je peux, comme lorsque je suis seul à veiller au milieu de la nuit, prendre le relais,
surveiller les abords ou jouer les vigies, être la conscience vive de mon groupe assoupi.
La pinède, la piscine. Sous ma seule responsabilité. Avec la violence du zénith de 16 heures.
Un couple de perruches, au plumage vert fluo de perroquets des îles, se pose dans un cyprès.
Les eaux de la baie incrustent du bleu marine dans une trouée que les arbres concèdent.
J'y vois des voiles blanches de bateaux alanguis comme aux dessins d'enfants.
Une brume de chaleur brouille les immeubles de la côte qui ferme la grande anse de Rosas.
Et je peux fermer les yeux en confiance, à ce paradis intense du bien-être absolu.
L'eau fait baisser la température à la moitié du corps immergée, quand celle à l'extérieur
serait insupportable, et l'équilibre se fait à la ligne de flottaison entre tous les contraires.
Je ne suis plus humain. Ou bien plus que cela. Je suis l'eau qui me porte. L'air qui me caresse.
Je me fonds dans le monde, dans la chaleur ardente, la morsure du soleil féroce et amical.
Dont l'étreinte remplace les tiennes. Masse mes muscles aiguisés qui brunissent.
Pour qu'ils soient en mesure de se coupler aux tiens. C'est un entraînement. Une préparation.
A d'autres voluptés qui se partagent à l'ombre. Derrière la frontière. Et mes volets fermés.
Mes jambes battent l'eau. Mon poil devenu algues dans les senteurs de chlore.
Juillet gorge mon sexe de désirs qui s'accroissent. Que je croyais perdus.
Je suis fait de paresses. De melon espagnol. Des dents blanches au bronzage.
Pour te manger la bouche. Pour croquer dans le ciel avec cet appétit
qu'il me reste pour l'amour et les plaisirs terrestres.

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Rosas
 

Publié dans 40 lunes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article